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Fiction contre utopie.
Une architecture en mouvement de François Roche.︎


carnet de recherche
Communication dans le cadre de la journée d’étude “Utopies concrètes : les figures du cercle et du carré en art, architecture et sciences”. Bordeaux, décembre 2012.
Organisation : Elisabeth Spettel
Nous proposons de centrer notre propos sur une architecture furtive, un projet de l’architecte François Roche présentée lors de l’exposition « propos mobiles » dans le dixième arrondissement de Paris à l’automne 1998. « Furtive », c’est son nom, participait d’un ensemble de travaux sélectionnés par Denis Gaudel, commissaire de l’exposition, autour de la question du nomadisme urbain.
L’exposition rassemblait des pièces de Vito Acconci, Gordon Matta Clark, Joep Van Lieshout, Franck Scurti, Rirkrit Tiravanija, Alain Bublex… Dans son « usage », l’architecture furtive de François Roche était envisagée comme une greffe urbaine, le 
véhicule étant conçu pour se brancher aux réseaux de fluides de la ville. La furtivité de l’habitacle permettait alors à son habitant de vivre en « creux », dans une forme d’autarcie urbaine où l’habitat nomade échapperait à la loi, à la vigilance, à la propriété territoriale comme aux standards en matière de confort.




Mais au-delà de son usage, c’est bien par son allure et son aspect que nous nous proposons d’étudier en quoi l’architecture furtive relève d’une fiction si ce n’est d’une utopie réalisée. Car cette géométrie mobile est sans valeur modélisante ou prospective. L’architecture expérimentale de François Roche relève plutôt d’un principe déformant, principe actif et créatif puisqu’elle travaille à contester l’état des choses et s’hybride avec les situations dans lesquelles elle s’inscrit, ici et maintenant. Déjouant la logique de la grande échelle souvent assumée par les architectes et les urbanistes utopistes, nous préciserons comment cette minuscule monade cubiste, cette chambre itinérante — cette architecture caméra — mobilise nos regards et nos consciences dans le jeu déformant de ses écrans. Par ses relations manifestes avec le cinéma mais aussi avec la littérature, nous montrerons sa capacité à inquiéter notre rapport au réel et au langage. L’architecture furtive met en mouvement le décor urbain et l’inscrit dans le cadre diégétique de sa fiction. Elle engage dans une ambiguïté ce qui s’offre à nos regards. Elle-même située entre objet et reflet, entre masse solide et liquide, « Furtive » joue de la fluidité des images pour évoluer dans une ambivalence, entre structure et désordre. À la manière des théâtres catoptriques, dont l’historien de l’art Jurgis Baltrusaitis a souligné l’importance dans l’âge baroque, ce petit palais des glaces englobe un univers. Comme le montre Baltrusaitis dans « le miroir, essai sur une légende scientifique»[1], « le miroir est toujours un prodige où la réalité et la fiction se confondent ». Entre « réalité et hallucination, (...) les mondes ordonnés avec ces instruments de précision révèlent une réversibilité des choses : la certitude de l’apparent, l’incertitude de l’existant »[2]. L’architecture furtive peut donc être vue comme un arc en ciel ou, mieux, un mirage urbain, c’est à dire comme la rencontre fortuite (coïncidente) entre un phénomène météorologique — un événement — et des points de vue possibles. Telle une fata morgana, « Furtive » est une authentique fiction puisqu’elle est tout à la fois une présence partageable et un phénomène sans lieu propre. Travaillant la définition même d’une architecture dont la nature hésite ici entre la chose et l’évènement, elle semble convoquer un ailleurs possible plus qu’un avenir souhaitable.

[1]    BALTRUSAITIS Jurgis, « Le miroir. Essai sur une légende scientifique. Révélations, science-fiction et fallacies ». Ed Aline Elmayan, le Seuil. Paris, 1978.
[2]    opus cit. P.281.