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Archicinéma & fictions d’architecture


carnet de recherche  
Thèse de doctorat︎ en architecture sous la direction de Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, professeur émérite de l’Université Paris-Est
Intitulé « Archicinéma et fictions d’architecture », mon travail de recherche en thèse, conduit sous la direction du philosophe Thierry Paquot, est parti du constat qu’un nombre conséquent de pratiques architecturales et de travaux de recherches universitaires, articulaient depuis une vingtaine d’années des relations de divers ordres entre architecture et cinéma. Dans le même temps, la notion de fiction, le medium filmique semblaient déborder le cadre des disciplines artistiques où ils sont généralement attendus pour investir les arts supposés plus concrets que sont l’architecture et le design. J’ai donc cherché à comprendre les raisons historiques, techniques, sociales et esthétiques qui pouvaient permettre d’expliquer ce phénomène.





Auteur de « La ville au cinéma » en 2005[1], Thierry Paquot a largement contribué en France à l’émergence d’un terrain d’étude fécond pour la philosophie de l’urbain en s’intéressant, dans une démarche encyclopédique, aux représentations de l’espace et de l’architecture au cinéma. De son côté aux États Unis, Beatriz Colomina a formulé dès 1994 l’idée d’une architecture comme média[2], à la lumière d’une histoire de l’architecture revue au spectre de l’évolution des supports médiatiques. En 2008, un article d’Albena Yaneva et Bruno Latour, intitulé « donnez-moi un fusil et je ferai bouger tous les bâtiments »[3] s’est posé comme un véritable manifeste pour le renouvellement de la théorie architecturale. En avançant une série de questions importantes, notamment comment élaborer une théorie de l’architecture fondée sur un dépassement de la dialectique objet-sujet, Yaneva et Latour ont appelé à un élargissement de l’espace de représentation, susceptible de prendre en compte pour l’architecture — mais de manière générale pour tous les artefacts — les multiples mouvements dont ils procèdent et qu’ils délivrent en retour.

S’il est assez naturel d’étudier les manières dont le cinéma représente l’architecture, j’ai souhaité pour ma part, partir d’une problématique inverse en me demandant de quels cinémas (au pluriel) l’architecture pouvait constituer une représentation.
Cette problématique est née d’une hypothèse : le cinéma, comme art mais aussi comme état de fait technologique, ne cesse de s’inventer et de s’étendre. Le cinéma, ses techniques et manières de faire ontdéréglé les perspectives, affecté les régimes scopiques[4], les manières de voir dont dépendent aussi les façons de penser et de construire. Il a imposé une esthétique de la modification au-delà de sa propre sphère d’expression. En ce sens, les modalités historiques de représentation en architecture ont été réformées par le cinéma et ses développements. Si la perspective de la Renaissance s’est imposée dans l’histoire comme une invention essentielle (hors même de son expression artistique), c’est parce qu’elle a permis de poser logiquement la possibilité d’invariants structurels dans un univers où n’étaient perceptibles que les transformations apparentes d’un objet en mouvement (dans l’espace). Le cinéma a précisément provoqué  l’inverse: il amène à considérer des variations effectives dans un univers où n’était plus perceptible que l’apparente constance des « objets ».
J’ai suggéré que cette question et l’hypothèse qui la sous-tend, le cinéma comme état de fait globalisé et l’architecture comme modalité particulière de la représentation du mouvement, sont indissociables d’un contexte technique et d’une culture particulière, la culture numérique, hors de laquelle les notions de mobilité, de flux, de processus ne s’imposeraient pas si largement.

[1]  Thierry Paquot & Thierry Jousse (Dirs.), La ville au cinéma. Paris, Cahiers du cinéma, 2005.
[2]  Beatriz Colomina, Privacy and Publicity : Modern Architecture as Mass Media. Cambridge, MIT Press. 1994.
[3]  Albena Yaneva & Bruno Latour, Give Me a Gun and I will Make All Buildings Move. An Ant’s View of Architecture, in Reto Geiser (Dir.)  Explorations in Architecture : Teaching, Design, Research. Basel, Birkhäuser. 2008. pp 80-89.
[4]  Cf Jonathan Crary, Techniques of the Observer. On Vision and Modernity in the Nineteenth Century. Cambridge. MIT Press. 1990.